mercredi 1 avril 2009

PROBLÈMES RENCONTRÉS PAR L’ENSEMBLE DES ENTREPRENEURS DANS LE PROCESSUS DE PASSATION ET D’EXÉCUTION DES CONTRATS

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Lionel Duvalsaint, ing., 2e à partir de la gauche, au Colloque organisé par le CNMP et le MEF à l'Hôtel Caribe le 31 mars 2009
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Par Lionel Duvalsaint, ing.
Président de l’AHEC
L’Association Haïtienne des Entreprises de Construction (AHEC) remercie vivement la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP) pour l’invitation qu’elle lui a faite de présenter un exposé sur la passation des Marchés Publics en Haïti ; elle saisit l’occasion pour lui formuler ses félicitations pour le professionnalisme avec lequel elle s’acquitte de sa tâche.

Vu le temps qui nous est imparti pour la présentation de cet exposé, nous ne nous attarderons pas à faire l’historique de la passation des Marchés Publics en Haïti, mais nous signalerons en passant que c’est à partir des années 1970 avec les travaux routiers et le projet de drainage des eaux pluviales de Port-au-Prince qu’on a vu se structurer un ensemble d’entreprises haïtiennes en vue de l’exécution des dits travaux. Une assistance technique appropriée permettait non seulement de gérer le processus dans son ensemble : préparation des Dossiers d’Appel d’Offres (DAO), passation des Marchés, suivi des travaux, etc., mais aussi a contribué à la formation des cadres professionnels qui jusqu’à présent fournissent leurs services dans les domaines connexes de l’industrie de la construction.

Fort malheureusement, vers le milieu des années 1980, les investissements importants dans les différents domaines des Travaux Publics ont considérablement ralenti du fait des turbulences sociopolitiques provoquant ainsi la ruine de certaines entreprises et un ralentissement de l’élan entrepreneurial dans l’industrie de la construction. Un redressement de cette situation a été noté à la levée de l’embargo au milieu des années 1990. Malheureusement, l’esprit qui prévalait au début des années 70 et qui visait à la dynamisation du secteur Construction en Haïti s’est étiolé…

Créée au début des années 90, l’AHEC regroupe actuellement plus d’une trentaine d’entreprises œuvrant dans presque tous les domaines de la Construction : Architecture, Génie Civil, Électricité, Hydraulique… Il s’agit d’un groupement apolitique ayant pour mission de défendre l’intérêt de ses membres.

Les Entreprises Haïtiennes de Construction, membres de l’AHEC ou non, font face à une série de difficultés inhérentes tant au processus de la passation des marchés en général qu’à l’exécution des travaux en particulier. A ces propos, différentes réunions et colloques ont été organisés tant par des organismes de financement (la BID en date du 22 août 2006) que par les entités de l’État (l’Exécutif, la Primature, la CNMP) en vue d’une meilleure compréhension de cet état de fait et dans le but d’y apporter les solutions appropriées.

En effet, si les Maîtres d’Ouvrage, Maîtres d’œuvre, organismes de financement se plaignent du retard mis par les firmes adjudicataires pour le démarrage des travaux, les avances contractuelles ayant été encaissées, les firmes présentent fort souvent un argumentaire valable justifiant cette attitude.

A.- Dossiers d’Appel d’Offres non homogènes

Pour un même type de marché, l’entrepreneur se retrouve en présence d’un document dont les directives, normes techniques et administratives varient selon l’Agence de financement. Parfois, on note ces variations au sein d’une même Agence en fonction de critères sans doute établis mais qui handicapent considérablement la préparation des soumissions. Certains textes arrivent même à orienter le soumissionnaire vers un fournisseur en particulier. Il revient donc à la CNMP d’intervenir pour résoudre ce problème en conformité à l’article 20 du décret portant sa création.

B.- Dossiers d’Appel d’Offres incomplets

Les appels d’offres sont lancés à partir d’avant projets très sommaires. Il est donc requis à des firmes spécialisées dans l’exécution des travaux d’élaborer, après soumission, l’étude réelle du projet. Les délais pour la remise des dossiers techniques sont parfois trop courts d’autant plus que la firme arrive souvent avec difficulté à s’adjoindre, le cas échéant, le partenaire vraiment qualifié. En conséquence, on observe des retards dans le démarrage des travaux, retards qui certainement pénalisent la firme vu que son calendrier de décaissement se trouve ainsi perturbé et qu’il devra séjourner plus longuement sur le site des travaux.

C.- Délais souvent trop longs pour la proclamation des résultats

Au problème mentionné plus haut se retrouvent jumelés les délais parfois trop importants entre le lancement de l’appel d’offres et la proclamation des résultats. En effet, les fournisseurs tant nationaux qu’internationaux,étant dans l’impossibilité,tout à fait compréhensible d’ailleurs, de maîtriser ou de contrôler les coûts de certains intrants, produisent des cotations pour lesquelles ils n’accordent que des délais très restreints de 15 à 22 jours. Ainsi, les prix unitaires des marchés étant généralement fermes, il s’ensuit un risque imprévisible de pénalisation pour l’entreprise au démarrage même des travaux. Une clause de révision de prix sciemment conçue par toutes les parties impliquées dans le processus de la passation des marchés doit être intégrée dans les clauses contractuelles.

D.- Problèmes d’éthique liés à la passation des marchés.

S’il est de l’attribution légale de la CNMP ‘‘d’élaborer un code d’éthique pour les fonctionnaires et les entreprises privées impliquées dans les questions de passation de marchés publics ’’, elle a aussi pour devoir, conformément à l’article 8 portant sa création, de ‘‘s’assurer de la non-participation aux marchés publics de toutes entreprises dans lesquelles les membres de l’entité administrative contractante ou du jury de sélection possèdent des intérêts financiers de quelque nature que ce soit’’.

Nous avons tenu, Monsieur le Ministre, à porter ce fait à votre attention puisqu’il a fait l’objet de débats au sein de la corporation.

E.- Carence en ressources humaines.

Une grande majorité, sinon la totalité des firmes impliquées dans l’exécution des travaux, se plaint d’une carence de cadres techniques administratifs et financiers, de cadres intermédiaires qui leur permettraient de mieux gérer et d’exécuter les activités programmées dans le cadre des marchés. Les défaillances de l’entrepreneur ne peuvent être signalées par une supervision peu formée et souvent inefficace. Il est impérieux, dans l’optique de relance sérieuse des activités liées à la construction, que des programmes de formation à tous les niveaux soient mis en place de concert avec l’UEH et les centres de formation professionnelle.

F.- De l’incapacité financière des Firmes.

Un grand nombre d’appel d’offres demeure infructueux par le fait même des cautions requises :

caution de soumission (Bid Bond) parfois bancaire variant de 3 à 5% du montant de la soumission
caution bancaire de bonne exécution (Performance Bond) (10%)
caution bancaire devant garantir le paiement aux fournisseurs et des employés (5%).
Caution bancaire devant garantir l’avance sur approvisionnement (10 à 20%).

Ainsi, avant même d’entamer l’exécution d’un projet, une firme de construction, généralement classée PME, doit disposer de 30 à 50% du montant de sa soumission. Signalons en outre que 5 à 7% et parfois 10% du montant total du marché est prélevé sur les décomptes en vue de constituer la retenue de garantie.


G.- Retards de paiement

Des entreprises se plaignent des retards enregistrés pour le paiement de leurs décomptes par certaines Agences ou Unités d’exécution. Les firmes domicilient souvent les contrats à la Banque, qui, en retour, toutes autres conditions satisfaites, met une ligne de crédit à leur disposition. D’importants retards de paiement peuvent avoir des impacts fort négatifs sur la trésorerie d’une firme et constituer en quelque sorte une forme de pénalisation quand on considère les intérêts composés journellement qu’elle doit payer.

Il est à noter les interminables retards de paiement enregistrés dans le cadre des travaux financés par le Trésor Public et l’UE Les firmes sont alors forcées d’effectuer une démobilisation totale ou partielle, suivant le cas. Le Chef d’Entreprise se retrouve donc en face d’une situation échappant à son contrôle, et pour laquelle il est amené à prendre des décisions cruciales tant sur le plan social qu’humain. Il se doit donc de mettre prématurément au chômage un personnel à qui il avait promis du travail pour un temps défini dans son chronogramme de travaux.

De plus, ces arrêts d’activités ont un coût économique additionnel si l’on considère les détériorations des infrastructures déjà mises en place et qui relèvent malgré tout de la responsabilité de l’Entreprise.

H.-Carence en Equipements

Bon nombre d’Entreprises engagées dans l’exécution de travaux, tant dans les régions métropolitaines que dans les confins du Pays, éprouvent de sérieuses difficultés à trouver, en location, les équipements lourds de construction indispensables à la poursuite de leurs activités de chantier. Il s’agit là d’un problème sérieux occasionnant souvent des retards dans la livraison des travaux. La constitution d’un parc en équipements accessibles aux entrepreneurs ou le renforcement de ceux existants a été avancée. Quelles que soient les modalités adoptées pour sa mise en place, il est impérieux, si l’on veut dynamiser le secteur de la construction, de prendre toutes les dispositions urgentes en vue de palier à cette carence.

I.- Des Firmes étrangères

Les firmes étrangères ont, en théorie, les capacités technique et financière pour exécuter des travaux en Haïti, bien que l’expérience de la RN3, première version, fut une catastrophe. De quels moyens dispose un fonctionnaire établi en Haïti pour vérifier les faits avancés par une entreprise étrangère ? Curricula Vitae du Personnel ? Expérience ? Cautions Bancaires ?

A l’AHEC, nous croyons qu’il est important et même impérieux d’encourager les firmes étrangères (Études, Construction, Supervision) à soumissionner et s’installer en Haïti. D’ailleurs, elles peuvent devenir membres à part entière de la Corporation. Mais, il est tout aussi important qu’à un certain niveau, l’on s’assure que cette pénétration du Marché se fasse dans le respect de la législation haïtienne en matière d’embauche ou de création d’emplois, de transfert de connaissances ou de formation de cadres techniques et intermédiaires, de partage du marché. Ce dernier point revêt une importance particulière si l’on considère que légalement, l’entreprise étrangère doit sous traiter à une ou des firmes locales qualifiées au moins 20% du montant de son offre (article 13 du CNMP). Si appliquée, une telle disposition permettrait :

. Le développement de l’entreprenariat haïtien dans les domaines de la construction, puisque certaines barrières financières liées aux cautions n’existeraient pas.

. La création d’emplois au niveau du personnel local qui généralement est employé par les firmes locales.

. Le transfert effectif des connaissances et la formation de cadres.

J.- Pour une compétition saine

Il est fort souhaitable, comme par le passé, que le budget approximatif d’exécution des travaux soit communiqué aux firmes lors du lancement de l’appel d’offres. De toute façon, et il n’est un secret pour personne ici, l’estimation confidentielle ne le demeure que pour les non-branchés. On serait tenté de dire que cette information est source de corruption.

Alors, disons-la tout haut à toutes les entreprises. Ainsi, l’adjudication se ferait autour des critères liés au Dossier Technique de l’entreprise, ses moyens matériels, expérience et savoir faire, etc. L’expérience a prouvé que les offres les moins disantes n’ont pas toujours été les moins coûteuses finalement en fin d’exécution des travaux, et maints projets n’ont pu être achevés du fait du procédé d’évaluation des offres qui consiste à déclarer adjudicataire la firme ayant soumis le moindre coût. Une telle attitude est de nature à éliminer entre les firmes la saine compétitivité requise dans un environnement d’appel d’offres sérieux.

K.-Un Vœu pour l’Avenir

Nous terminons notre intervention en formulant le vœu que la Commission Nationale des Marchés Publics puisse disposer des ressources appropriées et des provisions légales en vue d’une prise en charge complète du processus de passation des Marchés Publics en Haïti. Son rôle de vérification ne nous paraît pas approprié, le reléguant ainsi au second plan. Une telle approche permettrait aux cellules techniques des Ministères et Agences de se pencher davantage sur la préparation de Dossiers standardisés étayés par de véritables directives techniques et des plans « Bon pour Exécution ». Ainsi, les firmes de construction pourront s’atteler à l’exécution de travaux à l’entière satisfaction des Maîtres d’Ouvrage, en respectant les délais et l’enveloppe budgétaire prévue à cet effet.

C’est finalement notre pays qui sera le grand gagnant puisque les fonds dont nous ne disposons pas toujours auront été utilisés à bon escient au bénéfice des générations futures.


Je vous remercie de votre patience.

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