jeudi 14 janvier 2010

Haïti/Port-au-Prince: Séismes de 1751, de 1770, ... et de 2010

Mises à jour du 15 et du 18 janvier 2010
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Haïti-séisme du 12 janvier 2010.
Image diffusée le 13 janvier 2010 par USGS et Reuters
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Amies et amis internautes,

Dans les circonstances tragiques que nous vivons, il paraît opportun de présenter quelques extraits de l'ouvrage de Georges Corvington,

Port-au-Prince au cours des ans , La ville coloniale, 1743-1789,

Imprimerie Henri Deschamps, Port-au-Prince, 1975, 213 pages et Appendices.

N.B. Les extraits ont été choisis et transcrits par LCDP-Génie civil. Le travail a été fait avec soin. Cependant, s'il y a des fautes de frappe, nous prions le lecteur de nous en excuser.

Des parallèles pourront être faits par chacun de nous entre les séismes de 1751 et de 1770 décrits ci-dessous et celui survenu le 12 janvier 2010 et dont il est question dans, par exemple, LCDP-séisme 2010.

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1.1) 1751, 18 octobre.- Séisme

(Corvington (1975), page 37)

«Dans l’après-midi du 18 octobre 1751, deux fortes secousses sismiques d’une durée de trois minutes ébranlèrent la ville. Les Port-au-Princiens terrifiés gagnèrent les rues. Les dommages furent néanmoins insignifiants et se soldèrent par des fissures aux murs des maisons.»

«À partir de cette date, Port-au-Prince va connaître des jours d’anxiété. Précédées de gros grondements souterrains, des secousses intermittentes les unes moins violentes que les autres, font tressaillir le sol.»

«Enfin, le 21 novembre,… »


1.2) 1751, 21 novembre - Séisme

(Corvington (1975), pages 37-39)

«Enfin, le 21 novembre, après une commotion particulièrement forte, se produit la catastrophe que tout le monde appréhendait : l’effondrement de la cité ! On emprunte à Moreau de Saint-Méry, le peintre génial du Saint-Domingue d’avant la Révolution, la relation de cette calamité : »
« ‘Le 21 novembre, à 8 heures du matin, durant un calme profond, il y eut une légère secousse de tremblement de terre au Port-au-Prince. Des secousses plus violentes suivirent. Une seule des maisons en de maçonnerie ne fut pas renversée. Quelques-unes de charpente tombèrent. Les casernes, le magasin général et une aile de l’intendance s’écroulèrent. Le 22, les bâtiments qui avaient résisté la veille furent détruits, et du 19 au 22, la terre ne fut pas stable un seul instant. Le soir et le matin, un bruit comme celui d’un canon souterrain annonçait de nouvelles agitations. Du 22 novembre au 8 décembre, il y eut 25 secousses… ’ »

«Durant ces jours d’angoisse, la population vit sous la tente : Port-au-Prince est transformé en un camp de bédouins. Pour comble de malheur, une épidémie de fièvre maligne sw déclare. Elle durera quatre longs mois.»

«Le bilan du désastre est impressionnant. Des rares maisons encore debout, pas une qui ne soit lézardée. Les édifices gouvernementaux sont renversés ou endommagés. L’église est en ruines. Les fortifications n’ont pas mieux tenu ; la batterie de l’Ilet est complètement hors d’usage et celle des Trois Joseph anéantie… Pas de pertes de vies humaines heureusement, mais sur les villages, le malheur a buriné ses traits… »

«Le séisme ayant renversé l’hôtel du Gouvernement mis en chantier par Maillart, on entame la restauration de la grand’case de Bretton des Chapelles, fendillée de tous côtés, et où logeait encore le gouverneur. Quant aux chantiers de l’hôtel du Gouvernement, ils sont simplement abandonnés.»

«Les casernes, tès endommagées, présentent un aspect lamentable. Nègres et soldats se sont déjà mis à l’œuvre pour des réparations d’importance.»

«L’Intendance n’a pas mieux résisté aux commotions telluriques. Elle ne se maintient que par miracle. Laporte de Lalanne y fait entreprendre des travaux de réfection… Les paroissiens se démènent pour trouver à leur curé une nouvelle demeure, car l’ancien dépôt à bagasse qui était sa maison, tombant dans le domaine de l’Intendance, nouvellement agrandi, il lui faut vider les lieux.»

«L’église s’était totalement effondrée. Remettant à plus tard l’édification d’un temple digne du Créateur, les habitants construisent hâtivement, place de l’Intendance, à côté de l’ancienne sucrerie, une chapelle provisoire en clisses.»

«Incapables de recevoir des réparations, les magasins du roi sont réédifiés au bas d la ville, sur un terrain voisin de la mer (1). On oriente l’entrée sur la rue de Rouillé 920. Tout à côté, on entreprend les travaux de consolidation des hangars qui logent l’atelier des nègres du roi.»

«…Le sol de Port-au-Prince a enfin retrouvé sa rassurante stabilité. Le souvenir des jours de terreur commence à s’estomper. La joie de vivre est revenue, et avec elle, le goût du confort et de la frivolité. Les maisons démolies sont remises en chantier, mais rares les propriétairesqui persévèrent dans l’idée de ne rebâtir qu’en bois : on est tellement mieux logé dans une bonne maison en maçonnerie ! »



2) 1770, 3 juin - Séisme

(Corvington (1975), pages 74-84)

«… Mais ce qui commença à inquiéter fort la population de la ville, ce fut la réception successive de secousses sismiques dès le début de l’année 1770. Dans la mémoire de tous, 1751 était restée comme une année de cauchemar, et le moindre tremblement de terre occasionnait des frayeurs mortelles…Il était écrit cependant que Port-au-Prince dût, cette fois, payer à la nature un tribut bien plus considérable.»

«On avait, le 3 juin 1770, célébré avec éclat en l’église paroissiale la fête de la Pentecôte. Le temps, demeuré lourd et couvert durant la matinée, ne s’était pas associé à la solennité du jour. Une atmosphère accablante avait régné sur la ville. »

«Dans la soirée, les nuages s’étaient dissipés, mais le ciel était resté chargé de vapeurs qui voilaient la lumière des étoiles et ne laissaient filtrer de la lune qu’une clarté illusoire.»

«Oppressés par la chaleur, les habitants avaient déserté l’intérieur de leur maisons et s’étaient mis à l’aise sous leur galerie, armés d’un éventail de fortune pour combattre le manque d’air. Certains, préférant la promenade, avaient gagné les rues et marchaient à petits pas, en devisant à voix basse.»

«À sept heures un quart, une première secousse brève, à peine perceptible, ébranle le sol. Puis commencent à déferler des vagues trépidantes qui bientôt transforment le sol en une mer tumultueuse. ‘Des parties de montagnes s’écroulent, raconte Nicolson, …les édifices les plus superbes et qui paraissaient les plus solides s’ébranlent, perdent leur aplomb, se décomposent et s’écroulent avec un horrible fracas ; les cloches sonnent d’elles-mêmes, mais ne donnent que des sons discordants...’»

«Dès les premières secousses, ceux qui par bonheur se tenaient sous leur galerie s’étaient jetés dans la rue. Combien n’eurent pas le temps d’accomplir ce geste sauveur !»

«Le futur fondateur de la République, Anne Alexandre Pétion, échappe ce soir-là miraculeusement à la mort. Ses parents habitaient rue d’Orléans, à l’emplacement où s’élève l’ancien Palais Législatif, abritant aujourd’hui (1975) le Département des Affaires Sociales… Dès les premières trépidations, son père, le colon Sabès, s,est élancé dans la rue avec sa concubine, dame Ursule, mère d,Alexandre, et sa fille Suzanne. Dans l’affolement général, on oublie le nourrisson à peine âgé de deux mois. Une tante d’Alexandre, qui s’est mise elle aussi à l’abri dans la rue, se souvenant de l’enfant, se précipite dans la maison qui craque de tous côtés. Elle atteint le berceau, enlève le bébé, et tandis qu’avec son précieux fardeau elle regagne la rue en courant, la maison s’effondre dans un effroyable grondement. (3) »

«Sous les débris de bois, de pierres et de meubles fracassés qui jonchent l’emplacement des maisons, des voix chères crient au secours, des mourants râlent, des blessés suffoquent… Armés de torches ou de lanternes à lueur roussâtre, des rescapés du cataclysme vont et viennent, à la recherche de leurs proches enfouis sous les décombres… Nuit d’effroi, peuplée de cauchemars et de ruines, qui paraîtra éternelle ! »

‘Le jour montra toute l’horreur de cette scène déchirante. Un sol entrouvert en mille endroits, des défenseurs de la patrie ensevelis sous les ruines des casernes ou des hôpitaux, des prisonniers écrasés sous les débris de la geôle, les montagnes voisines de la ville dégradées et affaissées ; enfin, des monceaux de décombres couvrant toute l’étendue d’une ville où il n’y avait d’autre abri que celui des arbres qui indiquaient la direction des rues ; tel était le tableau que contemplaient les infortunés, s’estimant trop heureux encore, lorsqu’ils n’avaient à déplorer que les pertes de la fortune, et qu’ils ne découvraient aucun objet cher à leur tendresse parmi deux cents cadavres. ’ (4)

«Le gouverneur de Nolivos et l’intendant de Bongars ont réquisitionné les pièces de toile en dépôt aux magasins du roi. De leur côté, les capitaines de navire mettent à la disposition des sinistrés la voilure de leurs vaisseaux. Ainsi, sera-t-il possible d’élever assez de tentes pour garer des intempéries la plus grande partie de la population.»

«Car pas une maison n’est sortie intacte du désastre, et il aurait été de la plus grande imprudence de s’aventurer à l’intérieur de celles qui, quoique encore debout, étalent de dangereuses lézardes.»

«Les profiteurs de malheur n’ont pas tardé à surgir, leurs cabrouets chargés de vivre. Mais c’est au prix fort… et les administrateurs,… se verront obligés de fixer eux-mêmes les prix…Par contre, on enregistre des gestes de partis du cœur qui comblent de reconnaissance et de réconfort les victimes de la catastrophe…»

«…On souffre déjà terriblement de la soif. Le canal s’est sectionné en maints tronçons, et c’est dans les crevasses de la montagne que s’engloutit cette eau qui ferait tant d’heureux. Pour comble de déveine, plusieurs puits se sont asséchés. D’autres sont complètement obstrués par des débris de toute espèce…On recourra à la corvée d,eau. Transformés en gens de peine, nègres, soldats, colons riches ou pauvres, tout ce monde que le malheur commun a nivelé, s’ébranlent, en une lamentable caravane en direction de Martissans. »

«Pendant tout le mois de juin, on vit dans la plus atroce indécision. Le sol ne cesse de vaciller. Personne ne se sent le moindre encouragement à creuser de nouvelles fondations, ni même à déblayer son terrain. On préfère encore vivre sous la tente où les garanties de sécurité paraissent plus certaines. »
«Cependant, les oscillations qui de jour en jour diminuaient d’intensité, finissent par disparaître. Peu à peu l’espoir renaît…La grosse besogne qui s’offre à première vue est le nettoyage de la ville, travail ardu qui mobilisera pendant des jours des centaines de bras.»

«Des plans sont arrêtés par des particuliers pour la reconstruction. Mais la prévoyance gouvernementale, qui n’entend plus encore une fois être mise en échec, fait obligation aux propriétaires de ne reconstruire leurs maisons qu’en bois ou en maçonnerie entre poteaux. Chacun se félicite de cette sagesse de l’administration. On est prêt désormais à tout sacrifier pour s’assurer la sécurité.»

«…les administrateurs se concertent pour trouver une solution au problème aigu du logement des bureaux du gouvernement dont les locaux pour le moment sont à terre. La tâche va leur être facilitée par l’aide financière substantielle que Louis XV aura à cœur d,envoyer sans retard à sa capitale des Iles sous le Vent. »

«Pas d’espoir de restauration de ce qui subsiste du Gouvernement. Les lézardes en sont trop nombreuses. En hâte, on se met à bâtir dans la cour de l’édifice un logement de fortune dont le gouverneur devra se contenter en attendant des jours meilleurs. À côté de cette construction, on élève une méchante baraque qui servira à loger les services du secrétariat du gouverneur-général.»

«De l’Intendance, il reste encore des vestiges importants que l’on pourra utiliser après réparations. L’aile sud principalement est intacte. L’intendant Bongars est bien heureux de s’y caser en compagnie de son secrétaire. On arrivera même à loger dans cet espace réduit les services du bureau des fonds.»

«Les belles casernes de la Légion de Saint-Domingue ne sont qu’un amas de décombres…le Roi a demandé de les rebâtir sans délai… »

«Les prisons renversées ont libéré leurs pensionnaires qui, en raison des circonstances, bénéficient de la liberté provisoire. Ils sont maintenant sur les chantiers, aidant à déblayer et à reconstruire. Ces menus services en récompense desquels les malheureux espéraient obtenir une liberté définitive seront jugés insuffisants pour de telles prétentions. Bientôt rattrapés, ils seront conduits à un ancien corps de garde de la place du Gouvernement converti en prison. Quelques-uns, faute de place, seront emmenés sur les pontons ancrés dans la rade où déjà avaient été déposés deux membres de l’ancien Conseil du Port-au-Prince et un meneur dangereux. »

«L’hôpital militaire, dont la direction avait été confiée en 1769 aux religieux de Saint Jean de Dieu, dits Frères de la Charité, est méconnaissable. Pas la moindre parcelle de bâtiments demeurée intacte…On saisit l’opportunité pour envisager l’érection d’un complexe hospitalier, capable d’héberger jusqu’à cent cinquante malades. Le nouvel hôpital qui débouchera face à la rue de Penthièvre (rue Joseph-Janvier) se composera de deux salles de 80 pieds de long avec galeries aux deux façades, orientées perpendiculairement à la rue de Conty (rue Monseigneur Guilloux). À l’arrière, sur la moitié du terrain donnant vers l’est, s’élèveront, disposés symétriquement, le bâtiment des officiers de santé, celui du directeur, et enfin, le pavillon des officiers malades…»

«… Bref, la capitale semble avoir perdu son caractère. Elle apparaît plutôt mesquine et, durant de longues années, ne va faire figure que de ‘camp tartare’. »


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(1) Emplacement actuel (19750 du garage de la Santé Publique et des anciens bureaux du SCTH.

(2) La rue de Rouillé était aussi connue sous les appellations différentes de rue du Gouvernement et rue du Champ de mars, parce qu’elle aboutissait à la place d’Armes, désigné encore sous les noms de Place du gouvernement et Place du Champ de Mars.

(3) Version de l’historien Saint-Rémy (des Cayes)

(4) Moreau de Saint-Méry.

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Mises à jour du vendredi 15 janvier 2010

Des scientifiques s'étaient récemment prononcés sur l'imminence d'un séisme de cette ampleur.

1) Lire l'article de Phoenix Delacroix, journal Le Matin du samedi 27 septembre 2008, intitulé:

«HAÏTI/ MENACE DE CATASTROPHE NATURELLE / Risque sismique élevé sur Port-au-Prince».

Pour ce faire, cliquer sur Patrick Charles et Dieusel Anglade.

Voici un extrait de cet article prémonitoire:

« "Toutes les conditions sont réunies pour qu’un séisme majeur se produise à Port-au-Prince. Les habitants de la capitale haïtienne doivent se préparer à ce scénario qui finira, tôt ou tard, par arriver". Patrick Charles, 65 ans, géologue et ancien professeur à l’Institut de Géologie appliquée de la Havane, se défend d’être alarmiste. Pourtant, il n’ y est pas allé par quatre chemins quand Le Matin lui a offert l’opportunité de réagir sur le dossier de menace sismique planant sur Port-auPrince. Le vieux chercheur a répondu à nos questions avec la rigueur d’un universitaire avisé. À son avis, le danger est imminent "Dieu merci, la science met à notre disposition des instruments pouvant prévoir ces genres d’événements, tout en nous permettant de démontrer nos conclusions. C’est le temps et le hasard qui jouent en faveur de notre capitale. Une grande catastrophe plane sur notre tête ", prédit-il...»

«Dieu merci, Patrick Charles n’est pas le seul intéressé par le sujet. La question de la menace sismique sur Port-au-Prince est un sujet d’actualité. Elle a été débattue, ces derniers jours, par beaucoup de personnes, dont des intellectuels de haut rang. Les conclusions sont unanimes : Port-au-Prince risque bien de se transformer, du jour au lendemain, en un amas de ruines au terme d’une violente secousse tellurique. "Durant deux siècles, aucun séisme majeur n’a été enregistré dans la capitale haïtienne. La quantité d’énergie accumulée entre les failles nous fait courir le risque d’un séisme de 7,2 d’amplitude sur l’échelle de Richter. Mieux vaut ne pas en parler, il ne faut pas paniquer. Mais ce serait une catastrophe ", admet le responsable du Bureau des Mines et de l’Energie (l'ingénieur Dieusel Anglade), intervenant récemment dans la presse.»

2) Lire aussi l'article de Rick Callahan de l'Associated Press:

« Scientists warned Haitian officials in 2008 that the country was ripe for a major earthquake ».

Pour ce faire, cliquer sur: Eric Calais and Paul Mann.

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Mises à jour du lundi 18 janvier et du samedi 23 janvier 2010

3) Lire la série d'articles de Catalan postés sur lepost.fr:

Les raisons du séisme en Haïti : 1/3 La plaque lithosphérique des Caraïbes: Catalan 1 de 3.

Les raisons du séisme en Haïti : 2/3 L'île d'Hispaniola : Haïti et la République Dominicaine: Catalan 2 de 3.

Les raisons du séisme en Haïti : 3/3 Le volcanisme dans les Grandes Antilles: Catalan 3 de 3.

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